Interview réalisée par Marie-Line El Haddad

Divine Sung livre un premier long métrage d’une douceur rare, où photographie argentique, identité et éveil des sentiments s’entrelacent avec une justesse lumineuse.

Projeté dans la section « Paysage » du Festival du Film Coréen à Paris, édition 2025, et déjà récompensé à Seattle, Summer’s Camera s’impose comme l’un des films queer les plus tendres de la nouvelle scène coréenne. À travers l’histoire d’une lycéenne qui hérite de l’appareil photo de son père disparu, la réalisatrice Divine Sung explore le souvenir, le premier amour et la quête d’identité dans une Corée où la jeunesse s’invente de nouveaux espaces de liberté. Dans cet entretien, elle revient sur la genèse du film, ses choix visuels et ses espoirs pour un cinéma queer plus lumineux et plus universel.

Marie-Line El Haddad : Summer’s Camera raconte l’histoire d’une lycéenne qui hérite de l’appareil photo argentique de son père récemment décédé. Comment est née cette histoire et quels ont été vos premiers points de départ créatifs ?

Divine Sung : En Corée, beaucoup de films queer sont assez sombres, et j’avais très envie de réaliser un film queer lumineux. Je voulais offrir, au moins à travers le cinéma, un espace sûr, un « safe space », pour les personnes queer. C’était mon premier moteur : créer un récit qui leur permette de respirer, de se sentir représentées dans quelque chose de tendre, de doux et d’apaisant.

MLEH : La photographie et l’image occupent une place centrale dans le film. Que représente la photographie pour vous dans ce récit ? Et en quoi l’argentique a-t-il influencé votre manière de filmer ?

Divine Sung : Quand j’avais une vingtaine d’années, je rêvais de devenir photographe. Je voyageais beaucoup avec mon appareil argentique, et je me suis un jour demandé pourquoi j’aimais autant la photo. J’ai réalisé que la photographie permet de posséder des fragments de souvenirs. Pour moi, le film raconte l’histoire de Summer devenue adulte, qui se retourne sur ses souvenirs. L’argentique s’est donc imposé naturellement : une photo argentique est un objet physique, un morceau du passé qu’on ne peut pas vraiment retoucher ou recréer. Cela la rapproche beaucoup du souvenir lui-même. Il y a aussi une part d’inconnu : tant que la pellicule n’est pas développée, on ne sait pas ce que l’on va découvrir. Cette dimension d’imprévisibilité, presque de mystère, ressemblait beaucoup à l’atmosphère que je voulais pour le film.

MLEH : À travers la jeunesse et le premier amour, le film semble aussi dresser un portrait d’une génération en quête de repères. Aviez-vous envie de parler de la jeunesse coréenne actuelle à travers cette histoire très intime ?

Divine Sung : Oui, en partie. Avant de tourner, j’ai interviewé plusieurs jeunes de l’âge de Summer. Beaucoup m’ont dit qu’il leur était bien plus facile qu’avant d’accepter leur orientation sexuelle. Je tenais à refléter cette évolution. Mais lorsque j’ai commencé à voyager avec le film, j’ai réalisé qu’il existe des sociétés où exprimer son identité queer est complètement naturel, sans hésitation. En Corée, nous n’en sommes pas encore là. J’ai donc voulu montrer, à l’écran, une jeunesse qui peut dire les choses simplement, sans peur. C’est une forme d’espoir : rendre visible une attitude que j’aimerais voir devenir réelle dans la société coréenne.

La réalisatrice Divine Sung © Marie-Line El Haddad

MLEH : Le film m’a rappelé, par certains aspects, La Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller, notamment dans la tension entre ville et nature, modernité et respiration. Comment avez-vous abordé cet équilibre à l’écran ?

Divine Sung : Pour moi, cette tension est incarnée par le personnage de Jihoon (le père de Summer, ndla). Il se voit comme une “ligne centrale”. En Corée, c’est la ligne continue que les voitures ne doivent pas franchir. Puisqu’il n’est ni homosexuel ni hétérosexuel, mais bisexuel, il a l’impression d’être constamment “entre deux”, de ne rentrer nulle part. C’est cette sensation qui le pousse à chercher refuge dans la nature. Jihoon est quelqu’un de marginalisé, sur le fil, toujours à la limite. La forêt, les arbres, deviennent pour lui un lieu où il peut respirer. L’espace était très important pour moi dans ce film : j’ai voulu que la ville et la nature soient deux forces opposées mais nécessaires, chacune révélant ce dont les personnages manquent ou ce qu’ils cherchent.

MLEH : Vous parliez de symboles visuels comme la ligne continue, l’appareil photo, le sac de camping, les arbres… Pensez-vous ces symboles dès l’écriture, ou émergent-ils naturellement au fil du travail ?

Divine Sung : Je commence toujours par les personnages. Avant même l’histoire, je me demande : qui sont-ils ? Quelles sont leurs caractéristiques essentielles ? Une fois ces traits définis, les symboles viennent naturellement. Je réfléchis à ce qui peut représenter chaque personnage, ce qui peut rendre visible leur manière d’être ou leur état intérieur. C’est en construisant la personnalité d’un personnage que les objets, les espaces et les symboles qui lui sont liés s’imposent d’eux-mêmes.

MLEH : Summer’s Camera a été sélectionné dans plusieurs festivals internationaux et a remporté un prix au Festival de Seattle. Selon vous, pourquoi le film touche-t-il autant le public, notamment les jeunes, au-delà de la Corée ?

Divine Sung : Je suis extrêmement reconnaissante de cette réception. Je ne maîtrise ni l’anglais ni le français, mais le cinéma reste une langue que nous pouvons tous partager. Je pense qu’il y avait un vrai besoin, en Corée comme ailleurs, de voir un film queer lumineux. Un film où l’on peut respirer. À Seattle, ce qui m’a particulièrement touchée, c’est que le prix était décerné par des lycéens américains. Cela m’a montré que le film pouvait toucher des jeunes qui vivent dans un contexte totalement différent. Et peut-être aussi que mes inspirations, qui viennent davantage de réalisateurs étrangers que coréens, ont rendu le film plus universel.

MLEH : Le film a également été récompensé en Corée, notamment au Festival de Jeonju. Est-ce, selon vous, le signe d’un changement dans la société coréenne vis-à-vis des récits queer ?

Divine Sung : Je crois que la société coréenne est effectivement en train de changer, même si lentement. Le cinéma est un médium plus ouvert que d’autres : celles et ceux qui en font partie sont souvent plus tolérants, plus sensibles à ces sujets.Mais ce que j’espérais surtout, c’était toucher les personnes “ordinaires”, comme mon père, qui vit à la campagne. Là-bas, beaucoup de gens n’ont jamais rencontré quelqu’un d’ouvertement queer. Ils ne savent même pas que des personnes queer vivent près d’eux. Je voulais utiliser le cinéma pour leur montrer que ces personnes existent, qu’elles font partie de la société coréenne. C’était très important pour moi.

MLEH : Maintenant que le film circule en festivals, vers quels thèmes ou projets aimeriez-vous vous diriger ?

Divine Sung : Je prépare un film sur l’idée que même les personnes âgées peuvent encore “grandir”. On pense souvent que seuls les jeunes évoluent, changent, mûrissent. J’aimerais raconter une histoire qui montre que non : les personnes âgées aussi peuvent encore se transformer, apprendre, évoluer. C’est le thème que je souhaite explorer dans mon prochain projet.

Un grand merci aux équipes du FFCP et en particulier à Cédric Callier pour l’organisation de cette interview!

Depuis maintenant vingt ans, le Festival du Film Coréen à Paris (le FFCP pour les habitués) offre chaque année, entre fin octobre et début novembre, une sélection de films coréens soigneusement choisis. Véritable passerelle entre la création sud-coréenne et le public français, le festival met en lumière la diversité du cinéma coréen, des œuvres d’auteur aux grandes productions, et accueille régulièrement équipes, réalisateurs et acteurs venus présenter leurs films en exclusivité.

Divine Sung © Marie-Line El Haddad
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Posted by:Marie-Line El Haddad

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